II
RAPPELEZ-VOUS NELSON

— Je tiens à vous assurer, sir Richard, que je ne voulais absolument pas vous manquer de respect…

Bolitho s’approcha des fenêtres de poupe, écoutant sans les entendre le claquement des poulies et le bouillonnement de l’eau. Le Trucident avait mis en panne et roulait, travers à la houle. Il fallait faire vite. Comme le maître pilote de Poland l’avait prévu, le vent allait se lever sans tarder. L’autre frégate était invisible, elle devait être masquée sous leur vent.

Il se retourna, s’assit sur le banc et, désignant un siège à Varian :

— Un peu de café, commandant ?

Il entendait Ozzard marcher à pas feutrés et savait bien qu’il était déjà en train de le préparer. Cela lui laissait le temps d’étudier son visiteur.

Le capitaine de vaisseau Varian était l’exact opposé de Poland. Un homme de grande taille aux larges épaules, plein d’assurance. Il ressemblait assez à l’idée que peut se faire un terrien du commandant d’une frégate.

— J’étais impatient d’avoir des nouvelles, sir Richard, et en voyant ce vaisseau, bon…

Il eut un geste large des deux mains, accompagné d’un sourire qui se voulait désarmant. Bolitho le regardait, impassible.

— Il ne vous est pas venu à l’esprit qu’un bâtiment détaché de l’escadre de la Manche n’avait certainement pas de temps à perdre en bavardages ? Vous auriez sûrement pu vous rapprocher et avoir des échanges à la voix.

Ozzard arriva avec le café et jeta à cet étranger un regard pincé.

— Je n’y avais pas songé, admit Varian. Et vous, sir Richard, vous êtes ici alors que l’on aurait tant besoin de vous ailleurs, plus que tout autre…

Il souriait toujours, mais ses yeux étaient étrangement glauques. En voilà un à qui il ne fait pas bon se frotter, songea Bolitho. Du moins, pour un subordonné.

— Vous allez regagner immédiatement votre bord, commandant. Mais je voudrais d’abord entendre votre analyse de la situation sur place.

Il commença à déguster lentement son café. Mais que lui arrivait-il ? Il était agressif cela remontait à… Après tout, quand il était jeune, il en avait bien fait autant. Se retrouver à des milliers de milles de chez soi, la vue d’un navire ami. Il reprit :

— J’apporte de nouvelles instructions.

Abandonnant son air impénétrable, Varian changea immédiatement d’expression.

— Comme vous l’apprendrez, sir Richard, la force destinée à reprendre Le Cap airs Hollandais est arrivée. Elle a mouillé dans le nord-ouest, près de la baie de Saldanha. L’armée est commandée par Sir David Baird, le commodore Popham commande l’escadre d’escorte et les transports. On m’a appris que le débarquement allait commencer incessamment.

Il s’arrêta, hésitant en face de Bolitho qui le fixait.

— Vous appartenez à l’escadre de soutien.

C’était un simple constat. Varian haussa les épaules et posa sa tasse sur la table.

— C’est exact, sir Richard. J’attends quelques bâtiments supplémentaires avec lesquels j’ai rendez-vous.

Voyant que Bolitho ne disait rien, il reprit :

— Je patrouillais dans les parages de Bonne-Espérance lorsque nous avons vu vos huniers. J’ai cru qu’il s’agissait d’un traînard.

— Et votre supérieur, lui demanda toujours aussi calmement Bolitho, le commodore Warren, n’est-ce pas ? Je m’étonne qu’il se sépare de son plus gros vaisseau, un cinquième-rang, alors qu’il doit avoir grand besoin de vous ailleurs ?

Il se souvenait vaguement du commodore Warren, comme d’un portrait effacé par le temps. Il l’avait croisé brièvement pendant cette tentative malheureuse de débarquement des royalistes français qui avaient voulu reprendre Toulon aux armées révolutionnaires. A l’époque, Bolitho était capitaine de vaisseau, tout comme Varian, et commandait l’Hypérion. Il n’avait jamais revu Warren depuis lors. Mais la marine est une grande famille et il avait entendu parler de lui, il avait servi ensuite à différents postes aux Antilles et dans la mer d’Espagne.

— Le commodore est souffrant, sir Richard, répondit assez brutalement Varian. A mon avis, on n’aurait jamais dû lui confier…

— En tant que commandant le plus ancien, vous avez dû assumer la responsabilité de l’escadre de soutien, c’est bien cela ?

— J’ai rédigé un rapport complet à ce sujet, sir Richard.

— Que je lirai en son temps – Bolitho s’obligea à ne pas porter la main à sa paupière et ajouta : J’ai l’intention de faire accélérer l’assaut contre Le Cap. Le temps est précieux, c’est pourquoi il était si important d’effectuer cette traversée aussi vite.

Il vit que le coup faisait mouche.

— Nous allons donc rallier l’escadre de conserve. Je souhaite voir le commodore Warren sans retard.

Il se leva et s’approcha des fenêtres latérales. La crête des vagues commençait à se tordre en boucle sous l’action du vent. Le vaisseau s’élevait sur les lames, comme impatient de reprendre sa route.

Varian essayait de faire bonne figure.

— Et les autres bâtiments, sir Richard ?

— Il n’y a pas d’autre bâtiment et il n’y en aura pas. En réalité, je suis autorisé à renvoyer certains de ceux qui sont ici directement en Angleterre.

— Il s’est produit quelque chose, amiral ?

— Au mois d’octobre, répondit-il lentement, notre flotte a défait l’ennemi au large du cap Trafalgar sous les ordres de Lord Nelson.

Varian déglutit plusieurs fois.

— Nous l’ignorions, sir Richard ! – pour une fois, il semblait totalement désarmé. Une victoire ! Seigneur, mais voilà une fort bonne nouvelle !

Bolitho haussa les épaules.

— Ce brave Nelson est mort, ce qui rend cette victoire bien amère.

Quelqu’un frappa à la porte, Poland entra. Les deux commandants échangèrent un regard puis se firent un signe de tête, comme s’ils se connaissaient de vieille date, mais Bolitho sentait d’instinct qu’il y avait un obstacle entre eux, comme la grille que l’on met au foyer d’une forge. Il tendit la main :

— Je vous reverrai, commandant – et se détendant un peu : Nous maintenons le blocus devant les ports ennemis, c’est absolument vital. Notre victoire à Trafalgar nous renforce, certes, mais la flotte n’en est pas moins sortie affaiblie.

La porte se referma derrière eux, Bolitho entendit les trilles des sifflets. Varian descendait à bord de son canot.

Il commença d’arpenter sa chambre. Il revivait l’un des entretiens qu’il avait eus à l’Amirauté avec l’amiral Sir Owen Godschale. Plus précisément, leur dernier entretien, au cours duquel son interlocuteur avait souligné l’urgence de sa mission. Les flottes française et espagnole réunies avaient subi une sévère défaite, mais la guerre n’était pas gagnée. On avait déjà signalé que trois petites escadres françaises avaient réussi à se faufiler entre les mailles, pourtant serrées, du blocus, avant de disparaître selon toute vraisemblance en Atlantique. S’agissait-il pour Napoléon d’une nouvelle stratégie ? S’en prendre à des ports, à des îles isolées, s’emparer de navires de transport et menacer les routes maritimes afin de ne pas laisser un instant de répit aux escadres anglaises, le temps de reconstituer une flotte ?

L’air plein de dédain qu’avait arboré Godschale lorsqu’il parlait de la puissance réelle de l’ennemi l’avait presque fait sourire. L’une de ces forces qui était passée sous le nez de l’escadre chargée du blocus devant Brest était commandée par le vice-amiral Leissègues et son vaisseau amiral était L’Impérial, un cent-vingt canons. Pas exactement une petite pointure.

Les Français pouvaient même s’intéresser au Cap. Impossible d’imaginer le massacre auquel ils se livreraient s’ils se présentaient car ils étaient capables de couper la route des Indes et de toutes les îles, d’un coup d’un seul.

Il se souvenait de cette soudaine froideur entre Godschale et lui. L’amiral était son contemporain, ils avaient même été promus capitaines de vaisseau le même jour. La ressemblance s’arrêtait là.

Brutalement, Bolitho prit conscience de la distance qui le séparait de Catherine. Comme tant d’autres, Godschale avait essayé de les maintenir éloignés l’un de l’autre. Peut-être avait-il trempé dans le coup monté par Belinda pour déshonorer Catherine et pour causer sa perte. Bolitho en doutait pourtant. L’amiral attachait trop de prix à son pouvoir et à sa sécurité pour courir le risque d’être mêlé à un scandale. Mais était-ce si sûr ? De notoriété publique, la prochaine étape de son ascension était la Chambre des lords. Peut-être certains essayaient-ils de les abattre en se servant de Godschale.

Les paroles de Catherine lui résonnaient encore aux oreilles. Tu ne vois donc pas ce qu’ils essayent de nous faire ?

Peut-être cette mission au Cap n’était-elle qu’un avant-goût : on tentait de le garder occupé sans lui accorder aucun répit, en sachant qu’il ne refuserait jamais, quoi qu’ils lui fissent subir.

Il s’approcha du support, effleura le vieux sabre de famille qui paraissait très terne à côté du sabre d’honneur accroché en dessous. D’autres Bolitho l’avaient porté, l’avaient utilisé, ils étaient parfois tombés en le serrant convulsivement jusque dans la mort. Il n’imaginait pas qu’un seul d’entre eux eût accepté de se le laisser arracher sans combattre. Cette pensée le rasséréna et, quand Allday arriva, il le trouva souriant : c’était la première fois depuis bien longtemps. Il lui dit :

— Toute l’escadre doit être au courant pour Lord Nelson, sir Richard. Ça va en bouleverser plus d’un.

Il lui montra d’un geste le sabord le plus proche, comme si l’on pouvait apercevoir la côte africaine.

— Ils vont dire que ça ne mérite pas qu’on meure pour ça. C’est pas pareil que se dresser entre les mounseers[1] et l’Angleterre, comme on a fait.

Bolitho se sentait ému au point d’en oublier ses propres soucis. Il lui répondit :

— Avec de vieux chênes dans votre genre, ils vont bientôt devoir se tenir à carreau !

Allday eut un fin sourire :

— Et je connais deux commandants qui vont bientôt se crêper le chignon.

Bolitho le regarda sévèrement :

— Sacré renard ! Qu’en savez-vous ?

— Pas grand-chose pour l’instant, sir Richard. Mais j’savons que le commandant Poland a été le second de l’autre, y’a quelque temps.

Bolitho hocha la tête : sans Allday, il n’aurait personne avec qui partager ses sentiments ou ses craintes. Les autres ne voyaient en lui que leur chef – ils ne désiraient rien d’autre.

Allday prit le sabre et commença à l’envelopper dans la housse prévue à cet effet.

— C’est c’que j’disions toujours, sir Richard, et tout marin digne de ce nom le sait bien – nouveau sourire –, ceux de l’arrière récoltent tous les honneurs, mais c’est à l’avant qu’vous trouverez les meilleurs. Et c’est moi qui vous l’dis !

Lorsqu’Allday fut parti, Bolitho alla s’asseoir à sa table et ouvrit son journal intime. Il y avait glissé la lettre qu’il avait commencée lorsque les brumes de l’Angleterre et le crachin s’étaient évanouis derrière eux, au début de leur longue traversée.

Quand la lirait-elle ? Cette lettre arriverait-elle jusqu’à elle ? Voilà ce qu’il ne saurait pas tant qu’elle ne serait pas dans ses bras. Sa peau contre la sienne, ses larmes de joie mêlées aux siennes.

Il se pencha sur la lettre tout en effleurant le médaillon à travers sa chemise neuve.

Une nouvelle aube se lève, chère Kate, combien je languis de toi…

Il écrivait toujours lorsque le vaisseau changea une nouvelle fois d’amure. La vigie annonça que les bâtiments étaient en vue.

Bolitho monta sur le pont à midi. Le soleil lui frappa violemment le visage et les épaules, comme une nuée ardente. Ses souliers collaient aux coutures de pont. Il s’approcha des filets de branle après avoir pris une lunette au râtelier.

Dans cette lumière dure, brumeuse, les montagnes étaient d’un rouge rosé. Le disque solaire faisait songer à du bronze bruni et brillait si fort qu’il décolorait le ciel tout entier.

Il fit lentement pivoter son instrument en se calant solidement sur ses jambes. La longue houle paresseuse amortie par la côte soulevait la quille avant de rouler de l’autre bord. La montagne de la Table, coin plus pâle, encore enveloppée de brume et de mystère tel un autel gigantesque.

Puis il vit les vaisseaux. D’un œil averti, il les examina l’un après l’autre. Ce vieux soixante-quatre, le Thérnis, dont il savait qu’il portait la marque du commodore Warren. Warren était malade. A quel point ? Il n’avait pas cherché à en savoir plus auprès de Varian. Cela aurait pu dévoiler ses intentions ou semer le doute, alors qu’il avait besoin de la pleine confiance de ces hommes qui ne le connaissaient pas et qui devraient le croire sans poser de question.

Une autre frégate, quelques goélettes, deux gros transports. La crème de l’escadre devait se trouver là où Varian le lui avait indiqué, dans le nord-ouest, à un endroit où les bâtiments pouvaient mouiller assez au large. A cet endroit, un banc isolé permettait de jeter l’ancre. Un peu plus loin, la ligne des cent brasses marquait le début des abysses, monde obscur et immobile.

Il surprit un éclair de lumière sur une lentille. Ils observaient la lente approche du Truculent, aussi surpris que l’avait été Varian de voir sa marque au mât de misaine. Poland vint le rejoindre en abord.

— Pensez-vous que cette campagne va durer longtemps, sir Richard ? lui demanda-t-il.

Il s’exprimait avec un soin étudié et Bolitho se dit qu’il se demandait sans doute ce qu’il s’était passé dans la chambre, entre Varian et lui. Il baissa sa lunette et se tourna vers lui.

— J’ai déjà eu affaire à l’armée dans le temps, commandant. Ils sont plus accoutumés à ce genre de campagnes que je ne le suis moi-même. Une bataille navale est une chose : soit vous gagnez, soit vous vous rendez. Mais tout ce train assommant de ravitaillements et de marches, ce n’est pas pour moi.

— Ni pour moi non plus, répondit Poland en s’autorisant l’un de ses très rares sourires.

Bolitho se retourna en cherchant Jenour des yeux :

— Vous pouvez signaler aux allèges qu’elles pourront se rapprocher dès que nous aurons mouillé, commandant. Et félicitez vos hommes en prime, cela ne fera pas de mal. Cette traversée a été admirable.

Un rayon de soleil passa sur eux, telle une lance lumineuse. L’équipe de dunette brassait dans l’axe l’énorme bôme.

Bolitho serra les dents. Rien. Ils s’étaient sans doute trompés. Il n’y avait rien. En dépit de cette lumière aveuglante, il distinguait parfaitement tous les bâtiments.

Jenour, qui l’observait, sentit son cœur battre contre ses côtes. Puis il aperçut Allday qui venait les rejoindre, brandissant le vieux sabre dans sa housse.

Ils échangèrent un bref regard qui voulait tout dire. Etait-il prématuré d’espérer ? Pour leur bien à tous ?

 

Après avoir pris un large tour, les deux frégates vinrent mouiller à la fin de l’après-midi, beaucoup plus tôt que ce qu’avait prévu le taciturne Mr. Hull. On échangea des signaux, on mit les embarcations à l’eau et on tendit les tauds. Bolitho observait tout cela depuis la dunette, l’esprit occupé par la tâche qui l’attendait.

C’était étrange, la terre paraissait toujours aussi éloignée et, à cause sans doute de la médiocrité du mouillage, elle avait quelque chose d’hostile. La pointe dans le nord-est que l’on avait choisie pour donner le premier assaut était sans doute un bon choix et probablement le seul possible. Bolitho avait étudié les cartes marines avec grand soin, ainsi que les cartes terrestres que lui avait fournies l’Amirauté. Plus haut, du côté de la baie de Saldanha, il y avait peu de fond et les eaux offraient une protection suffisante pour débarquer troupes et fusiliers escortés par les vaisseaux de guerre, qui pouvaient tirer sans peine. Mais, une fois à terre, les vraies difficultés allaient commencer. La baie de Saldanha se trouvait à une centaine de milles du Cap. Les fantassins, dont beaucoup étaient malades ou affaiblis après toutes ces semaines passées en mer, entassés dans les entreponts, ne seraient pas en état de marcher et de se battre avec une telle distance à parcourir. Les Hollandais étaient excellents soldats, ils reculeraient plutôt que de se battre pied à pied. Lorsqu’ils atteindraient enfin la ville, l’ennemi serait prêt à les accueillir. Il était peu probable que les Hollandais envoyassent des troupes s’opposer au débarquement, car cela leur ferait courir le risque d’être coupés de leurs arrières par l’escadre de soutien.

Bolitho sentait l’impatience le reprendre. Il fallait donc faire campagne, une campagne qui allait être longue et chèrement payée. Une guerre de lignes de ravitaillement, une guerre de soldats dont la plupart n’avaient connu que la vie de garnison aux Antilles. Les îles de la Mort, comme on les appelait dans l’armée, des îles où les hommes mouraient davantage de la fièvre que sous les balles ennemies.

Jenour arrivait et le salua.

— Votre dépêche pour le général est partie, sir Richard, elle est à bord d’une goélette, la Miranda.

Bolitho s’abrita les yeux pour regarder la jolie petite goélette s’éloigner des autres vaisseaux. Son commandant était certainement ravi de laisser derrière lui toute autorité, même si ce n’était que pour quelques jours.

Le ciel rougeoyant du crépuscule s’étendait sur la ligne d’horizon brillante, les mâts et les espars de bâtiments de la petite escadre prenaient soudain des teintes de bronze. A terre, les lunettes avaient certainement observé l’arrivée du Truculent, comme elles le faisaient sans doute pour tous les autres. Bolitho fit enfin :

— Vous êtes sur les charbons ardents, Stephen, alors, pourquoi ne pas lâcher ce que vous avez à dire ?

S’il ne s’était pas contrôlé, Jenour aurait violemment rougi. Bolitho devinait tout, il ne servait de rien d’essayer de l’égarer.

— Je… je me disais – il s’humecta les lèvres – … je pensais que le commodore aurait demandé à venir à bord.

Bolitho le fixait toujours, il se tut.

— C’est exactement ce que j’aurais fait à sa place – il se rappelait la remarque assez rude de Varian : Faites préparer le canot, Stephen. Mes compliments au commandant Poland, dites-lui que j’ai l’intention de me rendre à bord du Thémis.

Quinze minutes plus tard, suant à grande eau sous sa vareuse et son chapeau, il s’assit dans la chambre du canot à côté de Jenour. Accroupi près du bosco, Allday regardait le tout d’un œil critique.

Alors qu’ils passaient lentement le long des autres bâtiments, Bolitho vit des officiers de quart agiter leurs coiffures, des silhouettes immobiles dans les enfléchures et dans le gréement. Tous ces gens les observaient en silence. Leurs bras nus et leurs épaules faisaient songer à des statues.

Allday se pencha en avant, la bouche à quelques pouces à peine de l’oreille de Bolitho.

— ’voyez, sir Richard, ils sont au courant. Ça fait pas une heure qu’on est là et la nouvelle a déjà fait le tour de l’escadre.

Il aperçut un des nageurs qui le regardait et tendit la tête par-dessus l’épaule de Bolitho. L’homme baissa les yeux et manqua presque en perdre la cadence. Il était probablement surpris de voir qu’un marin, même s’il s’agissait du maître d’hôtel d’un amiral, conversait avec son maître et que ce dernier tournait même la tête pour l’écouter.

Bolitho hocha la tête :

— Lord Nelson va énormément nous manquer. Nous ne connaîtrons plus jamais quelqu’un comme lui de notre vivant.

Allday se recula et fit rouler sa langue contre sa joue pour s’empêcher de sourire. Ça, songeait-il, je n’en suis pas trop sûr.

Bolitho voyait le boute-hors et le bâton de foc de la Thémis qui pointaient comme pour leur souhaiter la bienvenue. C’était un vieux vaisseau, on l’avait employé à toutes les tâches possibles sauf en escadre. A l’origine, c’était un soixante-quatre, mais on avait débarqué une partie de son armement pour faire de la place aux soldats que l’on transférait d’un endroit sensible à un autre. Il avait même servi de ponton aux déportés de la Nouvelle-Galles du Sud. Transport, dépôt et maintenant, avec cette guerre qui requérait tout ce qui pouvait encore flotter, il était là, avec cette force d’invasion.

Jenour se mordit la lèvre et essaya de se détendre. Il avait noté la présence de la garde à la coupée, les sabres jetaient des éclairs rougeoyants au soleil. Tout cela sentait une certaine lassitude.

Bolitho attendit que le brigadier eût croché dans les porte-haubans, puis monta vers la coupée. Les ordres aboyés étaient assourdissants, c’était un concert de cris aigus que les marins appelaient les rossignols de Spithead. Il n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qu’Allday était là, prêt à le soutenir si le pied lui manquait, ou bien si son œil… Non, il ne fallait pas y penser.

Le vacarme se calma peu à peu, il se découvrit pour saluer l’arrière où le grand pavillon blanc se détachait sur le fond du ciel.

L’officier qui vint se présenter portait l’épaulette unique de capitaine de frégate. Il était plutôt vieux pour son grade et on avait apparemment oublié de penser à lui en tant que capitaine de vaisseau.

— Je vous souhaite la bienvenue, sir Richard.

Bolitho lui fit un bref sourire. Allday avait raison : rien ne restait secret.

— Où est le commodore ? – il jeta un coup d’œil à la flamme qui ondulait doucement : Est-il souffrant ?

Le capitaine de frégate, qui répondait au nom de Maguire, semblait mal à l’aise.

— Il vous présente ses excuses, sir Richard. Il vous attend dans sa chambre.

Bolitho salua d’un signe de tête les officiers présents et se tourna vers Jenour.

— Restez ici, essayez d’observer ce qu’il se passe – il lui posa la main sur le bras, mais il ne souriait pas. Je sais qu’Allday va en faire autant.

Maguire le conduisit à l’échelle de descente et dut presque se courber en deux. Bolitho arriva à l’arrière au moment où le fusilier de faction claqua des talons avec la précision d’un mécanisme.

Laisser-aller n’était pas le mot pour cette vieille Thémis. Non, c’était comme un être mort, on lui avait trop demandé dans des endroits trop éloignés. Pour ce que Bolitho avait réussi à glaner de renseignements, il n’était pas retourné en Angleterre depuis quinze ans et Dieu seul savait dans quel état pouvaient bien être ses œuvres vives.

Un serviteur noir écarta les portières de toile et Bolitho eut droit à une nouvelle surprise. Quand le bâtiment avait été transformé pour servir de caserne flottante, on avait retiré une partie de l’armement pour faire de la place aux officiers. A présent, avec ses sabords qui n’étaient plus garnis que de faux canons en bois – qui n’auraient guère trompé qu’un vaisseau à bonne distance ou un observateur peu averti qui se serait promené sur un quai –, les appartements de l’arrière étaient devenus fort spacieux et ne contenaient plus grand-chose qui rappelât un bâtiment de guerre, à l’exception du mobilier et d’un râtelier à mousquets.

Le commodore Arthur Warren sortit d’une chambre séparée par un rideau et s’exclama :

— Sir Richard ! Que devez-vous penser de moi ?

Bolitho était ébranlé par ce qu’il voyait. Warren n’avait jamais été exactement un ami, mais il lui donnait à peu près le même âge que lui. Pourtant, cet officier, portant un manteau dans lequel il flottait, dont les traits burinés avaient résisté aux ardeurs du soleil sous les pires climats, cet homme était devenu un vieillard.

La porte se referma et, à l’exception du serviteur attentif, qui portait un gilet rouge par-dessus son pantalon corsaire, ils se retrouvèrent seuls. Le vieux commandant avait disparu sans qu’on lui eût rien dit. Pas étonnant que le capitaine de vaisseau Varian, si sûr de lui, eût considéré comme certain que le commandement de l’escadre finirait par lui revenir. Bolitho commença :

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Il attendit tandis que l’officier appelait d’un signe son serviteur qui remplit de jolis verres en cristal d’Espagne de vin rouge. Alors seulement, Warren alla s’asseoir. Il gardait une jambe tendue en avant, comme si elle le faisait souffrir, et cachait une de ses mains sous son manteau. Il n’est pas malade, songea Bolitho, il va mourir. Il leva son verre :

— A votre santé, monsieur. Apparemment, tout le monde est au courant de mon arrivée, même ceux qui n’avaient pas encore appris les nouvelles de Trafalgar.

Le vin était âpre et légèrement salé, mais c’est à peine s’il s’en rendait compte.

Dans le temps, alors qu’il était le capitaine de pavillon du contre-amiral Sir Charles Thelwall à bord de l’Euryale, un gros trois-ponts, Bolitho avait dû accomplir les tâches de deux hommes car la santé de l’amiral s’était progressivement délabrée au cours de ces longs mois en mer. Thelwall avait fait son admiration, il l’avait vu avec une certaine tristesse débarquer pour la dernière fois alors qu’il ne lui restait que peu de temps à vivre. Bolitho avait été seulement soulagé de ce que l’amiral se vît épargner le spectacle. Les mutineries qui avaient éclaté, cette année-là dans la flotte du Nord, à Spithead, à Plymouth, en Ecosse. Aucun commandant n’avait oublié ces événements et, s’ils l’avaient fait, ils courraient au désastre.

L’amiral avait alors la même voix, la même tête que Warren à présent. Tout en avalant une autre gorgée de vin, il luttait pour contenir une quinte de toux caverneuse et, lorsqu’il ôta son mouchoir de ses lèvres, Bolitho se rendit compte que les traces rouges n’étaient pas que des taches de vin.

— Je ne veux pas vous importuner, monsieur, mais, si vous le souhaitez, je pourrais envoyer chercher un autre chirurgien à bord du Truculent. D’après les conversations que j’ai pu avoir avec lui, il m’a paru excellent homme.

Le visage de Warren se figea, ce sursaut de volonté était pathétique.

— Je me porte bien, sir Richard. Je sais ce que j’ai à faire !

Bolitho détourna les yeux. Ce vaisseau est tout ce qu’il possède, et ce titre de commodore par intérim, le seul triomphe qu’il ait jamais connu. Il essaya de se durcir, d’oublier la pitié qu’il ressentait et qui s’expliquait trop bien. Il reprit :

— J’ai fait porter une dépêche au gros de l’escadre. J’ai reçu instruction de faire retirer certains des bâtiments qui se trouvent sur place et de les renvoyer dans les eaux anglaises.

Il crut apercevoir un petit éclair d’espoir dans les yeux de Warren et ajouta doucement :

— Des frégates, pas ce bâtiment-ci. Il faut imaginer une stratégie pour s’emparer de la ville du Cap puis pour la défendre, sans trop prolonger un siège dont seuls les Hollandais sortiraient vainqueurs.

Warren répondit d’une voix rauque :

— L’armée ne va trop aimer ça, sir Richard. On dit que Sir David Baird a une forte personnalité.

Bolitho songeait à la lettre qu’il avait enfermée dans son coffre, à bord du Truculent. Elle n’était pas signée par quelque secrétaire d’État ni par un lord de l’Amirauté. Non, elle était signée de la main du roi et, même en tenant compte des propos peu charitables que l’on répandait, qui suggéraient que le roi ne savait souvent pas ce qu’il signait, ces temps-ci, cette signature était celle du pouvoir suprême et ouvrait toutes les portes.

— Je m’en occuperai en temps et lieu. D’ici là, j’aimerais passer à votre bord – il étendit le bras en voyant que Warren allait protester : Vous garderez votre marque. Mais, comme on dit, j’ai besoin de place pour mener mes petites affaires !

Warren fut pris d’une nouvelle quinte de toux et demanda :

— Que dois-je faire ? Vous avez ma parole que je vous servirai au mieux. Et si le capitaine de vaisseau Varian vous a dit…

— Je sers le roi depuis l’âge de douze ans, répliqua calmement Bolitho. Depuis tout ce temps, j’ai appris à me forger mon opinion par moi-même.

Il se leva, s’approcha d’un sabord grand ouvert et examina le bâtiment le plus proche, une autre frégate.

— Mais je tiens à vous dire une chose, commodore. Je ne risquerai pas de perdre une seule vie sans avoir tout tenté. Dans toute la marine, nos fidèles marins et les fusiliers, les officiers également, seront surpris et déçus de ne pas assister à notre victoire complète, après Trafalgar. A mon avis, il faudra des années pour venir à bout de la tyrannie que font régner la France et ses chacals.

Il se rendit alors compte que Warren et son serviteur muet le regardaient fixement, il avait dû élever le ton. Il eut un sourire forcé.

— A présent, je vous prie de me pardonner. C’est parce que j’ai vu perdre trop de beaux vaisseaux, j’ai vu des braves mourir pour de mauvais motifs. Certains d’entre eux ont commencé par maudire d’abord ceux qui les avaient envoyés là. Tant que je commande ici, les hommes qui oublieraient les dures leçons de la guerre m’en répondront personnellement – il ramassa sa coiffure – … de même que j’en répondrai un jour devant Dieu, je n’en doute pas.

— Un instant, sir Richard !

Warren s’empara de sa propre coiffure que tenait le serviteur noir et le suivit dans la pénombre de l’entrepont.

Avant qu’ils eussent atteint la coupée, il ajouta de sa voix haletante :

— Je suis très honoré, sir Richard – puis, d’un ton redevenu plus ferme : Je ne suis pas habitué à ce genre de besogne, mais je ferai mon possible. De même que mes hommes !

Jenour vit Bolitho émerger dans cette lumière étrange, il arborait un sourire mystérieux. Il se sentit rempli d’excitation, comme dans le temps, lorsqu’il s’attendait à ce que l’on confiât des tâches ennuyeuses et sans intérêt à cet homme qu’il avait toujours admiré, avant même d’avoir pu poser les yeux sur lui.

Lorsqu’il avait dit à ses parents qui habitaient Southampton qu’il avait l’intention de servir un jour Bolitho, ils avaient ri de sa naïveté. A présent, les rires s’étaient tus. Ne restait plus que l’inquiétude, celle qu’éprouvaient tous ceux dont les fils étaient à la guerre.

Le commodore Warren partit à la recherche de son commandant ; apparemment, cette Thémis à moitié désarmé ne méritait pas qu’on lui attribuât un capitaine de pavillon en titre. Bolitho attira son aide de camp un peu à l’écart.

— Nous allons passer à son bord, Stephen – le regard intelligent du jeune homme ne montra aucune surprise –, du moins pour l’instant. Allez chercher les autres… Je crains que Mr. Yovell ne passe la nuit à écrire. Et trouvez-moi un aspirant compétent en matière de signaux à bord de ce bâtiment, il ne me paraît pas convenable d’employer des nouveaux venus. Demain, je veux voir tous les commandants à huit heures, prévenez-les avant la tombée de la nuit. Envoyez le canot de rade si vous voulez.

Jenour avait du mal à le suivre. Bolitho semblait infatigable, comme si son cerveau essayait de s’échapper d’une prison qu’il s’était fabriquée lui-même. Bolitho ajouta :

— L’ennemi sait ce que nous sommes venus faire. J’ai l’intention d’aller voir ce qu’il se passe près du Cap, à l’autre mouillage. Je pressens que la solution se trouve ici, plutôt qu’à une centaine de milles de la baie de Saldanha. Je ne connais pas les commandants qui se trouvent ici et je n’ai pas beaucoup de temps pour le faire. Comme vous le savez, Stephen, j’ai demandé à l’armée dans la dépêche que je lui ai envoyée de remettre l’attaque à plus tard.

Jenour observait ces yeux gris qui devenaient plus clairs lorsque Bolitho regardait la mer. Gris comme l’océan, songea-t-il. Il demanda :

— Mais vous n’êtes pas sûr que le général sera d’accord ?

Bolitho lui donna une grande claque sur le bras comme un gamin qui monte un coup.

— Nous agirons séparément – son visage devient soudain soucieux – … en ce jour où nous devons nous souvenir de Nelson, il faut reprendre ses propres mots : les mesures les plus simples sont en général les plus sûres !

 

Ce soir-là, Bolitho alla s’asseoir sur le banc sous les fenêtres de poupe dans la chambre – un banc qui, excusez du peu, avait servi à un gouverneur général embarqué à bord pour fuir la peste qui avait éclaté dans les îles où il exerçait son autorité. Il n’avait pas la moindre envie de dormir et regardait danser les feux des vaisseaux.

L’air était lourd et humide, un canot de rade se déplaçait lentement entre les bâtiments à l’ancre. Il songeait aux Cornouailles, à ce vent glacé qui soufflait cette nuit-là, lorsqu’elle était venue le rejoindre. Cela faisait tout juste un mois, pas plus. Et maintenant, il était là, sous les côtes d’Afrique, une nouvelle fois soumis aux caprices des autres.

Fallait-il qu’ils aient besoin de lui pour surmonter le vague dégoût qu’ils éprouvaient à son égard ? Ou bien, comme pour Nelson, préféraient-ils le voir mourir ici en héros plutôt que de subir le reproche vivant de leurs propres manquements ?

Le pont se mit à trembler sous la traction du câble, le courant se faisait plus rapide. Allday n’avait pas montré beaucoup d’enthousiasme à l’idée de passer à bord de ce vieux soixante-quatre. L’équipage était là depuis trop longtemps. Il y avait des hommes embarqués de force, pris à bord de bâtiments marchands aux Antilles, survivants réchappés d’autres vaisseaux et même quelques prisonniers graciés tirés des prisons de la Jamaïque.

Tout comme Warren, ce vaisseau était à bout de bord et on lui confiait soudain une mission à laquelle il n’était pas préparé. Bolitho avait remarqué les montures des vieux pierriers, sur les deux passavants. Ils n’étaient pas tournés en abord, mais pointaient vers le pont. Souvenir de l’époque où ce bâtiment transportait des condamnés et des prisonniers de guerre au cours d’une campagne oubliée depuis bien longtemps.

Il crut entendre les pas d’Ozzard qui inspectait sa nouvelle office. Lui non plus ne parvenait pas à dormir. Il devait se rappeler les derniers moments de l’Hypérion – ou bien ruminait-il son secret, celui que Bolitho avait entrevu juste avant cette bataille finale ?

Il se mit à bâiller et se frotta l’œil. C’était étrange. Il ne savait plus précisément pourquoi Ozzard ne s’était pas trouvé sur le pont lorsqu’ils avaient dû rassembler les survivants et les blessés.

Il songeait aussi à son capitaine de pavillon et vieil ami, Valentine Keen, le visage ravagé par la douleur, pas tant à cause de sa blessure que parce qu’il assistait au désespoir de son amiral.

Si seulement vous étiez ici, Val.

Mais il ne prononça même pas ces derniers mots, il s’était enfin assoupi.

 

Un seul vainqueur
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